Miction nocturne douteuse
Je déguste un Pinot de Charente en digestif, après un copieux repas de filets de truites fraîches, de betteraves du jardin et de dermatite de la russule, une excroissance charnue et orangée qui pousse sur le dit champignon au goût unique et qui est fort délicieuse, ressemblant en texture et à l'œil à de l'imitation de crabe au goberge. Bref : quel délice pour mon souper d'anniversaire, arrosé d'un vin blanc sec et aromatique!!! Donc, nous avons jasé un peu après le souper et Luc est allé se coucher, car nous avions déjà dégusté, en plus du vin du souper, une bouteille de mousseux en apéro précédé de quelques bières lors de l'éviscération des truites. Sans compter que nous avions une journée de pêche dans le corps…
Une fois la vaisselle faite je suis assis sur le perron avant du chalet, en pleine observation de chauve-souris et de leur vol vis-à-vis la fenêtre de la cuisine. Cette dernière laisse sortir un filet de lumière qui attire les insectes dont les chauve-souris se gavent allègrement.
Une étoile filante traverse le ciel, la meute de loup se fait entendre au sud, vers la charge de cet immense et magnifique lac qu'est le Lac Des Écorces. Les huards font ensuite un concert stéréo axe nord-sud et la lune n'est pas encore levée. La journée de mes 51 ans est une réussite totale et je suis un peu euphorique en repensant à la belle truite d'une livre que j'ai sorti in extremis de la rivière et à celle d'une livre et demie que Luc a sorti 20 minutes plus tard. Nous nous étions exclamé : « On mange du filet pour souper à soir!!! »
Cette quiétude enivrante est soudain interrompue par du bardas qui vient de l'intérieur : je me retourne pour apercevoir, à travers la porte moustiquaire, mon ami en petite tenue, se diriger vers ma chambre… Interloqué, je lui demande : « Où tu t'en vas comme ça? » Lui de me répondre : « Ben j'vas pisser aux toilettes! » tout en continuant de se diriger vers ma chambre. Je reprends d'un ton plus fort : « Tu jokes là, voyons c'est ma chambre! » « Comment ça ta chambre? Tu m'diras toujours ben pas que je ne sais pas où sont mes toilettes! » Alors, sans broncher, je le regarde uriner dans mon bac à chaussures et vêtements, me disant qu'il valait mieux ne pas le réveiller, hi, hi…
Après avoir secoué son engin deux ou trois coups, il s'en est retourné dans sa chambre pour dormir, me souhaitant même « Bonne nuit, Le Poaite! »
Quelques instants plus tard, confondu, je me suis mis à rire, mais à rire les amis, ce n'est pas croyable!!! À en perdre le souffle. Et aussitôt que je reprenais mon souffle, après quelques instants de répit, je repensais à tout ce scénario qui venait de se dérouler devant moi et je repartais à rire… J'ai dû agir comme ça pendant une bonne demie heure, et je suis sérieux! Puis, bon prince, je suis aller pisser au bout de la galerie avant d'aller me coucher, sans tracasser mon ami avec cet épisode somnambulesque...
Bien entendu, au lever, j'ai entrepris de raconter le tout à mon inséparable compagnon de pêche depuis des années. Ce dernier, toujours à l'affût de quelque coup monté que je lui aurais préparé, demeure douteux : ce qui a pour effet de me faire rire comme la nuit précédente… Je reprends tout mon sérieux pour lui dire que c'est vrai! Il rétorque : « Non, je ne veux pas voir ça tout de suite, je cuisine le déjeuner, là! » Car notre entente de pêche est simple et efficace depuis des années : il cuisine et je fais la vaisselle. Alors je patiente, n'insistant pas plus qu'il ne le faut et je sors le bac sur la galerie, avant le déjeuner… Nous déjeunons donc, le cœur guilleret de notre superbe début de voyage, à discuter de la stratégie à prendre pour le lac du jour…
Bon prince, après une heure de doute, mon compagnon est allé sur la galerie et il s'est avancé le regard juste au dessus du bac dans lequel il avait uriné : pour constater la véracité de mes dires!!! « Eh bien! Tu as raison Le Poaite, crime j'ai pissé dans ton bac! » m'a-t-il répondu en tenant une de mes espadrilles dans ses mains. Pis je pense que je sais pourquoi j'ai procédé ainsi, » me dit-il, « j'ai suivi l'exact même trajet que je suis habituellement chez moi pour aller pisser la nuit! » Il entre dans le chalet pour m'en donner l'explication : « Tu vois chez moi mon lit est là » me dit-il en pointant sa chambre, « et ma toilette est exactement là » me pointant l'endroit où le bac se situait dans ma chambre. « Ça explique tout! » Et il s'est mis à rire de bon cœur également, me remerciant de ne pas l'avoir réveillé. Il a alors tout rincé ce qu'il y avait dans mon bac, pour ensuite tout étendre sur la galerie pour le séchage. Puis nous sommes partis pêcher les 30 belles truites qui se sont transformées le soir même, sous la main experte de mon ami, en 60 filets fins prêts à être cuisinés…
Il y avait longtemps que je n'avais pas été témoin d'un somnambule en pleine action et ce fût une expérience rigolote, somme toute, car aucun incident majeur ne s'est produit et j'ai laissé mon compagnon de pêche aller se coucher, comme si de rien n'était.
Fort heureusement, je n'étais pas dans ma chambre en train de dormir quand c'est arrivé! Je me vois très bien en train d'enfiler des espadrilles, le lendemain matin, et sentir l'humidité odoriférante gagner mon pied… Ouf! Quelle histoire! Le somnambulisme demeure toujours un phénomène qui nous apparait étrange. En fait, c'est comme si on communiquait avec un esprit plutôt qu'avec une personne… Surtout quand le somnambule ne se souvient plus de rien… Pas mal insolite ma chronique en cette dernière émission de la saison que j'anime pour vous…